Répartition géographique des vecteurs de la maladie de Chagas au Brésil Sur la base d’une modélisation de niche écologique

Résumé

Bien que le Brésil ait été déclaré exempt de transmission de la maladie de Chagas par le vecteur domestique Triatoma infestans, des cas aigus humains sont toujours enregistrés sur la base d’une transmission par des espèces indigènes de triatomines. Pour une meilleure compréhension du risque de transmission, la distribution géographique des triatomines brésiliens a été analysée. Seize des 62 espèces brésiliennes présentes dans > 20 municipalités et présentant des tendances synanthropiques ont été modélisées en fonction de leurs niches écologiques. Panstrongylus geniculatus et P. megistus présentent de larges aires écologiques, mais la plupart des espèces sont classées selon le biome dans lequel elles sont réparties : Rhodnius pictipes et R. robustus en Amazonie; R. neglectus, Triatoma sordida et T. costalimai dans le Cerrado; R. nasutus, P. lutzi, T. brasiliensis, T. pseudomaculata, T. melanocephala et T. petrocchiae dans la Caatinga; T. rubrovaria dans la pampa du sud; T. tibiamaculata et T. vitticeps dans la forêt atlantique. Bien que la plupart des occurrences aient été enregistrées dans des zones ouvertes (Cerrado et Caatinga), nos résultats montrent que toutes les conditions environnementales du pays sont favorables à une ou plusieurs des espèces analysées, de sorte que presque nulle part le risque de transmission du Chagas n’est négligeable.

1. Introduction

La maladie de Chagas ou trypanosomiase américaine est une infection chronique et potentiellement mortelle causée par le protozoaire Trypanosoma cruzi. La contamination de la muqueuse par les excréments d’insectes hématophages infectés (Hémiptères, Reduviidae, Triatominae) est le mode de transmission le plus important, bien que la transmission puisse également se produire par voie congénitale, par transfusion sanguine, à partir de donneurs d’organes, et par voie orale, par ingestion d’aliments contaminés par T. cruzi. Aucun vaccin ou traitement antiparasitaire efficace n’est disponible pour guérir la phase chronique de la maladie de Chagas, de sorte que le contrôle des vecteurs domiciliés est la principale stratégie pour prévenir l’infection humaine. La maladie de Chagas, à l’origine limitée à l’Amérique latine, est en train de devenir un problème de santé publique mondial dans les zones non endémiques en raison des migrations humaines vers les pays développés.

Au Brésil, le programme national de lutte contre la maladie de Chagas a été mis en œuvre entre 1975 et 1983, lorsque Triatoma infestans a infesté les domiciles de 700 municipalités de 12 États brésiliens. À cette époque, on estimait que 4,2% de la population brésilienne était infectée et environ 100 000 nouveaux cas étaient enregistrés par an. En 1991, le Brésil a rejoint l’Initiative du Cône Sud, un consortium international dont l’objectif principal est de réduire la transmission vectorielle par pulvérisation d’insecticide contre T. infestans. Après 10 ans d’efforts, le projet a eu un impact crucial sur la transmission de la maladie de Chagas dans les pays du Cône Sud, entraînant une réduction de 94% de l’incidence de la maladie. Des initiatives ultérieures ont également été lancées dans la région andine, en Amérique centrale et en Amazonie. La prévalence totale de la maladie de Chagas a été réduite de > 16 millions à 8 millions de personnes, estimée en 2005, et le nombre de décès a également été considérablement réduit. En 2006, l’Initiative intergouvernementale du Cône Sud, OMS, a certifié que le Brésil était exempt de transmission vectorielle par T. infestans. Au Brésil, l’estimation actuelle est que 1,9 million de personnes sont infectées, soit beaucoup moins que les 6 millions estimés dans les années 1980.

La dernière enquête brésilienne sur la séroprévalence a été réalisée en 2001-2008, portant sur 104 954 enfants, chez lesquels seulement 32 cas ont été détectés, ce qui indique une réduction significative de la transmission ces dernières années. Néanmoins, des cas aigus de maladie de Chagas sont actuellement enregistrés au Brésil, principalement dans la région amazonienne. Dans ces cas, la transmission implique soit des vecteurs sylvatiques envahissant les maisons, soit une contamination alimentaire, soit des populations domestiques/péridomestiques d’espèces triatomines indigènes. L’apparition de ces triatomines représente une grande difficulté pour les réalisations via le contrôle vectoriel.

Actuellement, dans la sous-famille des Triatominae, 142 espèces sont regroupées en 18 genres et cinq tribus. Les études de la répartition géographique de ces espèces sont cruciales pour comprendre les aspects épidémiologiques de la transmission de Trypanosoma cruzi, et doivent être envisagées pour orienter le contrôle et le suivi de la maladie. L’étude de la répartition géographique potentielle d’espèces importantes de vecteurs est cruciale pour comprendre les dimensions géographiques du risque de transmission de la maladie. Dans ce contexte, la modélisation de niche écologique (ENM) est un outil qui permet d’explorer des phénomènes géographiques et écologiques basés sur des occurrences connues de l’espèce. L’ENM a été largement appliquée à la compréhension des aspects de la transmission de la maladie de Chagas au cours de la dernière décennie, y compris la caractérisation des niches des espèces vectorielles et l’analyse des relations entre les distributions des vecteurs et des réservoirs. L’objectif de la présente étude est d’analyser les distributions géographiques des espèces de triatomines au Brésil et les facteurs liés à leurs zones d’occurrence. Les aspects écologiques des espèces les plus importantes sont discutés, contribuant à la connaissance des vecteurs de la maladie de Chagas au Brésil.

2. Matériel et méthodes

2.1. Données de distribution

Les données de distribution des espèces de triatomines au Brésil ont été obtenues principalement auprès de Carême et Wygodzinsky, Silveira et ses collègues, et Carcavallo et ses collègues. De nouveaux enregistrements ont été obtenus à partir d’études plus récentes. Nous avons également obtenu des données sur la répartition des espèces décrites après 1999. De plus, nous avons analysé les enregistrements de triatomes dans les collections de Rodolfo Carcavallo et Herman Carême au Laboratório Nacional e Internacional de Referência em Taxonomia de Triatomíneos, Instituto Oswaldo Cruz, FIOCRUZ. Des informations récentes sur la distribution des triatomines fournies par les services de santé de l’État brésilien ont également été incluses.

2.2. Modèles de niches écologiques
2.2.1. Données d’entrée

Nous avons compilé 3563 enregistrements de triatomines au Brésil qui pourraient être référencés aux coordonnées géographiques avec un degré de confiance raisonnable (c.-à-d., avec une incertitude ≤5 km, avec une précision de ±0,01°). Tous les enregistrements ont été géoréférencés en fonction de la consultation de http://www.fallingrain.com/world/ et http://www.ibge.gov.br/. En éliminant les enregistrements en double à cette résolution spatiale et en supprimant quelques enregistrements qui présentaient des erreurs évidentes de géoréférencement ou d’identification, il restait 3223 enregistrements, qui documentaient l’occurrence de 62 espèces de triatomines dans le pays. Ces données ont été organisées dans des feuilles de calcul pour analyse.

Nous avons établi un critère de taille d’échantillon de données d’occurrence de 20 points de latitude et de longitude uniques par espèce au minimum pour permettre un développement robuste de l’ENM, sur la base d’analyses antérieures et d’une vaste expérience avec de telles applications. Ce seuil a laissé un total de 17 espèces : Panstrongylus megistus, P. lutzi, P. geniculatus, Triatoma pseudomaculata, T. rubrovaria, T. sordida, T. tibiamaculata, T. petrocchiae, T. brasiliensis, T. melanocephala, T. costalimai, T. vitticeps, Psammolestes tertius, Rhodnius neglectus, R. nasutus, R. pictipes et R. robustus. Compte tenu du caractère exclusivement sylvatique de l’espèce Ps. tertius, nous n’avons pas inclus cette espèce dans les analyses ultérieures. Barve et ses collègues ont récemment recommandé que les modèles de niche et de répartition soient étalonnés dans des zones coïncidant avec la zone de dispersion (appelée « M » par eux) dans le cadre de mobilité biotique-abiotique (BAM) pour comprendre les distributions géographiques des espèces, une affirmation avec laquelle nous sommes amplement d’accord. Comme pratiquement toutes les espèces de la présente étude ont des distributions géographiques étendues, nous sommes à l’aise avec une définition relativement large de M. Cependant, une modification du cadre BAM pour la définition des zones d’étalonnage est basée sur la prise en compte de la zone qui a été réellement échantillonnée pour produire les données d’occurrence pour une étude, que nous pouvons appeler S. Parce que M et S déterminent la zone qui peut éventuellement produire un enregistrement de présence, bien que pour des raisons très différentes, et parce que nos données d’occurrence proviennent uniquement de l’étendue du Brésil, nous définissons notre zone d’étalonnage comme M∩S, qui dans ce cas est l’étendue entière du Brésil.

Pour caractériser les variations environnementales à travers le Brésil, nous avons utilisé deux ensembles de données environnementales très différents: des images de télédétection multitemporelles et des données climatiques. Les valeurs de l’indice de végétation de différence normalisée multitemporelle (mensuelle) (NDVI, un indice de « verdeur ») ont été tirées du satellite Radiomètre Avancé à Très Haute Résolution. Ces ensembles de données ont une résolution spatiale native d’environ 1 km. La nature mensuelle de ces indices de verdeur (avril 1992 – mars 1993) fournit effectivement une vue détaillée de la phénologie de la végétation à travers le pays, ce qui s’est avéré très utile et instructif dans les analyses récentes. Les années 1992-1993 coïncident bien avec la provenance temporelle d’une grande partie des données d’occurrence.

Le deuxième ensemble de données environnementales était constitué de variables  » bioclimatiques » caractérisant les climats de 1950 à 2000 tirées des archives de données WorldClim. Pour éviter les effets confondants de l’étalonnage des modèles dans un espace environnemental trop dimensionnel, nous n’avons choisi qu’un sous-ensemble des 19 variables « bioclimatiques » de l’archive de données climatiques: température moyenne annuelle, plage diurne moyenne, température maximale du mois le plus chaud, température minimale du mois le plus froid, précipitations annuelles, précipitations du mois le plus humide et précipitations du mois le plus sec. Les deux ensembles de données environnementales ont été rééchantillonnés à une résolution spatiale de 0,0417° pour analyse, afin de correspondre à la précision approximative du géoréférencement des données d’occurrence.

2.2.2. Stratégie et méthodes de modélisation

Différents algorithmes ont des forces et des faiblesses différentes dans des situations particulières, ce qui fait du choix de la méthode une considération importante. Compte tenu des caractéristiques particulières de cette étude — c’est—à-dire que la zone d’intérêt est la zone échantillonnée, sans qu’il soit nécessaire de transférer des modèles sur des paysages plus vastes ou d’autres paysages – Maxent s’est avéré être un excellent choix. Bien que les études comparatives récentes identifiant Maxent comme le « meilleur » algorithme soient des simplifications excessives, notre expérience et notre analyse indiquent qu’il s’agit en effet du choix idéal pour cette étude particulière. Nous avons utilisé des paramètres par défaut, sauf que nous avons choisi une graine aléatoire, avec 5 analyses de réplication basées sur un sous-échantillonnage bootstrap; nous avons utilisé les grilles de sortie médianes comme meilleure hypothèse de plage potentielle et les avons importées dans ArcGIS 10 sous forme de grilles à virgule flottante.

Pour les résultats du modèle, pour chaque combinaison d’espèces avec un ensemble de données environnementales, nous avons seuillé la sortie maximale brute indépendamment. Pour souligner le fait que l’erreur d’omission a une priorité considérable sur l’erreur de la commission dans les applications de modélisation de niche, nous avons utilisé une version modifiée de l’approche de seuil de présence minimale de formation qui tient compte du fait qu’un certain degré d’erreur peut exister dans un ensemble de données (sinon, les prédictions du modèle seuillées en utilisant cette approche seront élargies artificiellement par erreur). Plus précisément, nous avons estimé 𝐸, la quantité attendue d’erreurs significatives dans les données d’occurrence à 5%, et des modèles seuillés au niveau de pertinence qui comprenaient 100−𝐸 = 95% des données d’étalonnage du modèle pour produire des modèles binaires résumant la présence et l’absence probables dans le paysage. Enfin, nous avons combiné les modèles des deux ensembles de données environnementales en les multipliant – cette étape a eu pour effet de ne retenir les zones comme appropriées que si elles étaient jugées appropriées par des modèles basés à la fois sur les ensembles de données AVHRR et climatiques. Nous notons que, comme notre hypothèse initiale était que tout le Brésil était disponible pour chaque espèce pour une colonisation potentielle, nous n’avons pris aucune mesure spécifique pour réduire les prévisions du modèle des zones de distribution potentielles aux zones de distribution réelles.

Les analyses étaient axées sur la diversité des espèces de triatomines largement réparties (c’est-à-dire incluses dans notre liste initiale d’espèces bien échantillonnées) et importantes pour les maladies humaines. En conséquence, nous avons pris la carte finale, seuillée et combinée pour chacune des 16 espèces énumérées ci—dessus et les avons additionnées – étant donné la nature binaire de chacune des cartes, les sommes donnent une hypothèse du nombre d’espèces présentes à travers le Brésil. Pour donner une vue des réponses des espèces aux variations environnementales à travers le Brésil, nous avons tracé 1000 points aléatoires à travers le pays et attribué à chacune (1) la présence ou l’absence prévue de chaque espèce et (2) les valeurs des deux premières composantes principales de l’ensemble de données bioclimatiques, qui résument une grande partie de la variation des dimensions climatiques dans un espace facilement accessible et visualisable de deux dimensions.

3. Résultats

3.1. Profils de diversité

Soixante-deux des 142 espèces de triatomines connues ont été trouvées au Brésil (tableau 1). Trente-neuf espèces sur 62 (63%) ne se rencontrent qu’au Brésil. L’État de Bahia, dans le nord-est du Brésil, compte le plus grand nombre d’espèces (25 spp.), suivi du Mato Grosso (18 spp.) dans le centre-ouest, le Para et le Tocantins (15 spp.) dans le nord, et Minas Gerais (15 spp.) dans le Sud-est. Le Rio Grande do Sul est l’État qui compte le plus grand nombre d’espèces dans le sud du Brésil (11 spp.). L’Acre et l’Amapá sont les États où le nombre d’espèces recensées est le plus faible (tableau 1).

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* Biomes: Amazonie (A), Cerrado (Ce), Caatinga (Ca), Pampa (Pa), Pantanal (P) et Forêt atlantique (F). ** T. infestans est une espèce domestique, non endémique au Brésil. Après contrôle avec des insecticides, cette espèce est limitée aux foyers résiduels dans deux états. *** T. rubrofasciata est une espèce cosmopolite. Au Brésil, sa présence a été détectée dans tous les principaux ports. Abréviations de l’État brésilien: ACRE, AL: Alagoas, AM: Amazonas, AP: Amapá, BA: Bahia, CE: Ceará, DF: Distrito Federal, ES: Espírito Santo, GO: Goiás, MA: Maranhão, MG: Minas Gerais, MS: Mato Grosso do Sul, MT: Mato Grosso, PA: Pará, PB: Paraíba, PE: Pernambouc, PI: Piauí, PR: Paraná, RJ: Rio de Janeiro, RN: Rio Grande do Norte, RO: Rondônia, RR: Roraima, RS: Rio Grande do Sul, SE: Sergipe, SP: São Paulo, SC: Santa Catarina, et À: Tocantins.

Tableau 1
Matrice de présence/absence d’espèces de triatomines dans les États brésiliens. Les lignes représentent les 62 espèces triatomines et les colonnes les 27 États brésiliens. Les enregistrements de présence sont représentés par des cellules noires dans la matrice; les cellules blanches indiquent que l’espèce est probablement absente dans l’état. La dernière ligne (intitulée « Total ») indique le nombre total d’espèces enregistrées dans chaque état, et les dernières colonnes indiquent le nombre total de points de données enregistrés et les biomes où chaque espèce se trouve.

En regroupant les 62 espèces de triatomes par biome, nous avons noté que le plus grand nombre d’espèces habite le biome du Cerrado (𝑛 = 24; 39%), suivi de l’Amazonie (𝑛 = 16; 26%), de la Caatinga ( Ca = 15; 24%) et de la forêt atlantique (𝑛 = 15; 24%). Moins d’espèces ont été recensées dans les biomes du Pantanal (𝑛 = 9; 15 %) et de la Pampa (𝑛 = 8; 13 %). Les distributions géographiques de certaines espèces coïncident fortement avec la distribution de biomes particuliers, tandis que d’autres espèces (P. ex., P. geniculatus et T. sordida) sont présentes dans au moins quatre biomes (figure 1). La plupart de ces espèces se trouvent dans des zones ouvertes dans les biomes du cerrado et de caatinga, où la majorité (70%) des occurrences ont été enregistrées.

Figure 1

Occurrence relative de 16 espèces de triatomines à travers les biomes, calculée en fonction des proportions d’occurrences connues tombant dans chaque zone.

3.2. Modèles de niches écologiques

Nous avons modélisé les niches écologiques des 16 espèces de triatomines brésiliennes qui sont bien échantillonnées et présentent des tendances synanthropiques. Parmi ces espèces, P. geniculatus et P. megistus ont montré de larges distributions écologiques et géographiques (figure 2). Les distributions de R. neglectus, T. costalimai et T. sordida ont coïncidé avec le biome du Cerrado dans le centre du Brésil (Figure 3). D’autre part, les distributions de R. nasutus, P. lutzi, T. brasiliensis, T. pseudomaculata, T. melanocephala et T. petrocchiae coïncidait avec la Caatinga du nord-est du Brésil (Figure 4). Nous avons également noté une probabilité plus élevée de R. robustus et de R. pictipes dans le nord du Brésil (Figure 5), de T. rubrovaria dans le sud (Figure 6) et de T. tibiamaculata et de T. vitticeps dans la forêt atlantique (Figure 7).

Figure 2

Les modèles de niches écologiques projetés en tant que distributions potentielles pour les espèces de triatomines ayant une distribution étendue au Brésil. (a) Panstrongylus geniculatus et (b) P. megistus. Les occurrences connues de l’espèce sont représentées sous forme de carrés jaunes, et la prédiction consensuelle finale est représentée sous forme d’ombrage noir. Les zones identifiées comme appropriées sur la base de motifs climatiques uniquement sont indiquées en bleu, tandis que les zones identifiées comme appropriées sur la base de l’indice de végétation de différence normalisée (IVDN) uniquement sont indiquées en vert.

Figure 3

Modèles de niches écologiques projetés comme distributions potentielles pour les espèces de triatomines dans le centre du Brésil. a) R. neglectus, b) T. costalimai et c) T. sordida.

Figure 4

Les modèles de niches écologiques projetés comme distributions potentielles pour les espèces de triatomines dans le nord-est du Brésil. (a) R. nasutus, (b) P. lutzi, (c) T. brasiliensis, (d) T. pseudomaculata, (e) T. melanocephala et (f) T. petrocchiae.

Figure 5

Modèles de niches écologiques projetés comme distributions potentielles pour les espèces de triatomines amazoniennes. (a) R. robustus, et (b) R. pictipes.

Figure 6

Les modèles de niches écologiques projetés comme distribution potentielle de T. rubrovaria.

Figure 7

Les modèles de niches écologiques projetés comme distributions potentielles pour les espèces de triatomines de la forêt atlantique. (a) T. tibiamaculata et (b) T. vitticeps.

3.3. Facteurs qui Déterminent la Répartition des espèces

Comme indiqué aux points 3.1 et 3.2, des associations claires existent entre les aires d’occurrence des espèces et les biomes. La diversité cartographique globale des 16 espèces modélisées (Figure 8) indique que les zones les plus favorables à la présence de ces espèces sont concentrées dans le Cerrado et la Caatinga, dans la diagonale des zones ouvertes de l’est de l’Amérique du Sud; d’autres concentrations étaient dans les zones ouvertes de l’Amazonie, en particulier dans l’état de Roraima.

Figure 8

Carte de la diversité des espèces de triatomines du Brésil, basée sur des modèles de niches écologiques pour 16 espèces d’insectes triatomines. Les zones blanches n’ont pas d’espèces prédites comme se produisant, sur les 16 incluses dans cette analyse, tandis que les zones rouges les plus sombres ont 13 espèces prédites comme cooccurrentes.

La vue de la répartition des espèces de triatomines dans l’espace environnemental brésilien montre la grande diversité environnementale de la sous-famille (figure 9). Pratiquement toutes les conditions environnementales représentées dans le pays sont habitées par une ou plusieurs des 16 espèces analysées. La plupart des espèces sont triées par région dans laquelle elles sont réparties: par exemple, R. pictipes et R. robustus en Amazonie, Triatoma sordida et R. neglectus dans le Cerrado, T. brasiliensis et P. lutzi dans la Caatinga, et T. rubrovaria dans l’extrême sud. En résumé, cependant, l’opinion est que tout le Brésil a une série d’espèces de triatomines présentes, de sorte que presque nulle part le risque de transmission du Chagas n’est négligeable, bien que certaines zones soient clairement à un risque beaucoup plus élevé que d’autres.

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Figure 9

Répartition de 16 espèces de triatomines au Brésil par rapport à la variation environnementale résumée comme les deux premières composantes principales résumant la variation dans sept dimensions climatiques. Pour donner une vue des réponses des espèces aux variations environnementales à travers le Brésil, nous avons tracé 1000 points aléatoires à travers le pays et attribué à chacune (1) la présence ou l’absence prévue de chaque espèce et (2) les valeurs des deux premières composantes principales extraites de l’ensemble de données bioclimatiques.

4. Discussion

Cette étude analyse les distributions géographiques des 62 espèces de triatominés au Brésil. Nous avons constaté que la grande majorité des espèces ont une répartition limitée à moins de 20 municipalités à travers le Brésil. L’analyse de la distribution de 16 espèces synanthropiques largement distribuées au Brésil montre des associations claires avec les biomes brésiliens, indiquant que le Cerrado et la Caatinga sont ceux présentant la plus grande diversité. Les États brésiliens présentant le plus grand nombre d’espèces sont Bahia et Mato Grosso. Les résultats suggèrent que pratiquement toutes les conditions environnementales représentées à travers le pays sont habitées par une ou plusieurs des 16 espèces analysées.

Panstrongylus megistus était l’espèce la plus largement distribuée dans tout le Brésil, comme l’a souligné Silveira. La forêt atlantique semble représenter le centre de l’aire de répartition de P. megistus, bien que l’espèce soit également largement répartie dans les zones humides du Cerrado (« matas de galeria ») et de la Caatinga (vestiges forestiers). P. megistus montre des niveaux distincts d’adaptation aux environnements domiciliaires: dans le sud, il se produit principalement dans les écotopes sylvatiques tandis que dans les zones du sud-est et du nord-est, où il a une importance épidémiologique, il se produit principalement dans les écotopes artificiels. P. megistus semble préférer les arbres creux dans les habitats arboricoles souvent associés aux marsupiaux (Didelphis spp.), qui sont fréquemment infectés par T. cruzi; cette histoire naturelle explique les niveaux élevés d’infection naturelle de P. megistus par rapport à d’autres espèces vectorielles triatomines. La large répartition géographique, la capacité reconnue d’envahir et de coloniser les domiciles et les niveaux élevés d’infection à T. cruzi indiquent que P. megistus est l’espèce de la plus grande importance épidémiologique au Brésil après le contrôle de T. infestans.

P. geniculatus est une autre espèce triatominée très largement distribuée au Brésil et dans les Amériques, présente dans au moins 16 pays. Dans les milieux sylvatiques, P. geniculatus habite préférentiellement les nids de tatous (Dasypus spp.) et une invasion domiciliaire par des adultes a été détectée dans plusieurs États brésiliens; des colonies péridomiciliaires ont également été trouvées. Néanmoins, son comportement synanthropique et sa compétence vectorielle ne sont pas aussi pertinents que ceux de P. megistus. La morsure de cette triatomine est douloureuse et provoque des réactions allergiques chez les hôtes, rendant les repas sanguins dans les environnements domestiques difficiles, réduisant ainsi les chances de colonisation des écotopes artificiels. Les grandes aires de répartition de P. geniculatus et P. megistus pourrait être facilité naturellement par les mammifères (marsupiaux et tatous); de futures études analysant la distribution géographique de ces triatominés en tandem avec leurs hôtes potentiels pourraient clarifier ces possibilités.

Dans le Cerrado, les espèces les plus largement distribuées étaient T. sordida et R. neglectus. T. sordida se trouve naturellement sous l’écorce des arbres et habite également les nids d’oiseaux. C’est l’espèce la plus fréquemment capturée par la surveillance entomologique au Brésil. Cependant, le risque de transmission de T. cruzi par T. sordida est relativement faible en raison soit du fait qu’il habite principalement les écotopes péridomiciliaires, soit de son comportement ornithophile. Selon Forattini, les zones d’occurrence plus élevée de T. sordida sont celles liées aux activités agricoles du passé, ce qui pourrait expliquer sa présence dans des zones qui ont subi un impact écologique en raison d’une perte importante de végétation. Il est important de souligner que ce processus a été documenté au cours des dernières décennies dans le Cerrado.

Rhodnius neglectus est répandu dans le Cerrado et joue un rôle important dans la transmission enzootique du T. cruzi. Outre l’invasion d’adultes à domicile, la colonisation domiciliaire de R. neglectus a également été enregistrée dans les États du Minas Gerais, de São Paulo et de Goiás. R. neglectus se rencontre principalement dans des environnements sylvatiques, habitant différentes espèces de palmiers au Brésil. Le rôle des palmiers péridomiciliaires comme source de R. neglectus synanthropique doit être évalué dans de futures études.

Triatoma sordida et R. des neglectus ont également été enregistrés dans d’autres biomes (par exemple, Caatinga et Pantanal). Une des explications possibles de cette large répartition serait le transport passif par les oiseaux. La dispersion pourrait être facilitée par le fait que les œufs pourraient être attachés sur les plumes, comme suggéré pour les Rhodniini. Une autre possibilité serait le transport de nymphes parmi les plumes comme déjà montré pour T. sordida. Une des preuves de ce genre de dispersion est la coïncidence entre la répartition du R. neglectus et des oiseaux comme Phacellodomus ruber et Pseudoseisura cristata.

Triatoma costalimai semble être endémique dans le Cerrado. Cette espèce a été fréquemment capturée dans des environnements sylvatiques (roches calcaires), ainsi que dans des écotopes péri- et intradomiciliaires dans les municipalités du nord-est de Goiás, avec des taux élevés d’infection par T. cruzi. La répartition géographique de T. costalimai dans le Cerrado reste mal connue, des recherches sont donc nécessaires pour clarifier son comportement synanthrope et sa capacité vectorielle. En outre, des études écologiques d’autres espèces de triatomines dans le Cerrado devraient être effectuées pour améliorer la connaissance des espèces présentes dans ce biome.

Triatoma brasiliensis, T. pseudomaculata, P. lutzi et R. nasutus sont largement distribués dans la Caatinga. T. brasiliensis est l’espèce vectorielle la plus importante du nord-est du Brésil. Dans les milieux sylvatiques, il habite fréquemment les cultures rocailleuses en association avec des rongeurs (Kerodon rupestris) présentant des niveaux significatifs d’infection naturelle par T. cruzi. L’apparition de T. brasiliensis peut être associé à la distribution des formations rocheuses et des « chapadas » dans la région nord-est du Brésil. Cette espèce infeste fréquemment les maisons dans cinq États (MA, PI, CE, RN et PB). On le trouve également en très faible nombre dans les zones frontalières de son aire de répartition dans les États du Tocantins et du Pernambouc. Les quatre autres membres du complexe d’espèces de T. brasiliensis sont soit moins synanthropes (T. b. macromelasoma et T. juazeirensis), soit exclusivement sylvatiques (T. melanica). T. sherlocki, récemment inclus dans ce complexe d’espèces, semble être en cours d’adaptation à l’environnement domiciliaire.

Triatoma pseudomaculata se rencontre sous l’écorce des arbres et dans les nids d’oiseaux, présentant de faibles pourcentages d’infection naturelle par T. cruzi. Bien que T. pseudomaculata puisse être trouvé plus fréquemment dans les habitats péridomiciliaires, se nourrissant généralement d’oiseaux, au Ceará et au Minas Gerais, une domiciliation complète a été observée. Dans certaines régions du nord-est, T. pseudomaculata est l’espèce la plus commune après T. brasiliensis, il doit donc être maintenu sous une vigilance constante. La présence de T. pseudomaculata dans les environnements domiciliaires a été liée au changement climatique et à la déforestation. Un facteur de risque de domiciliation apparaît le transport passif en bois à usage domestique et la construction de clôtures.

L’importance épidémiologique de Panstrongylus lutzi a augmenté ces dernières années. Cette espèce était la cinquième plus fréquemment trouvée dans les captures dans 12 États brésiliens au cours des dernières années. P. lutzi est présent à Caatinga et peut être trouvé dans des nids de tatous ; cependant, il a un régime alimentaire beaucoup plus éclectique dans les environnements domestiques et présente des niveaux élevés d’infection naturelle.

Rhodnius nasutus se trouve principalement à Caatinga dans le nord-est et habite des palmiers de l’espèce Copernicia prunifera. Néanmoins, R. nasutus peut également être présent dans d’autres palmiers et arbres de la Caatinga. Bien que R. nasutus soit considéré comme endémique de Caatinga, cette espèce a été enregistrée dans des zones de transition avec la forêt amazonienne (par exemple, dans les forêts du Maranhão Babaçu) et également avec le Cerrado.

La répartition géographique de Triatoma melanocephala et de T. petrocchiae était plus restreinte que celle des espèces susmentionnées. Triatoma melanocephala semble se trouver dans des zones plus humides que T. petrochiae. Les habitats naturels et les sources de nourriture de ces deux espèces sont peu connus, ce qui nécessite une étude écologique plus approfondie pour clarifier leur potentiel vectoriel dans la transmission de T. cruzi à l’homme.

Triatoma tibiamaculata et T. vitticeps présentent une répartition géographique plus restreinte à la forêt atlantique. Le premier est fréquemment attiré par la lumière mais colonise rarement les maisons. Cette espèce était probablement responsable de la contamination du jus de canne à sucre qui a provoqué plusieurs cas de transmission orale enregistrés dans le Santa Catarina. À Bahia, T. tibiamaculata infecté par T. cruzi a été fréquemment trouvé dans les zones urbaines, principalement pendant les mois les plus chauds. Des spécimens adultes de T. vitticeps ont été capturés dans des zones rurales de municipalités de Rio de Janeiro, du Minas Gerais et de l’Espírito Santo. Contrairement à T. tibiamaculata, T. vitticeps colonise les zones péridomiciliaires, augmentant le risque de transmission de T. cruzi à l’homme.

Rhodnius robustus et R. pictipes sont largement distribués dans la région amazonienne, comme l’ont souligné Abad-Franch et Monteiro. Ces espèces ont plusieurs espèces de palmiers amazoniens comme habitats naturels et présentent des pourcentages élevés d’infection naturelle par T. cruzi. L’invasion des maisons par des adultes, apparemment liée à des sources de lumière artificielle, devrait favoriser la transmission de T. cruzi à l’homme soit par contact direct, soit par contamination alimentaire. Cette dernière possibilité a été fréquemment enregistrée en Amazonie, où la maladie de Chagas a été considérée comme émergente. D’autres scénarios possibles de transmission en Amazonie seraient une invasion triatomine des écotopes péridomiciliaires, comme pour P. geniculatus dans le Pará et T. maculata dans le Roraima.

Triatoma rubrovaria présente une répartition géographique limitée au biome de la Pampa dans le sud. Dans les milieux naturels, l’espèce se trouve sous les rochers (parfois très près des domiciles), où elle se nourrit de plusieurs animaux, dont des insectes. Après le contrôle de T. infestans, la présence de cette espèce a augmenté dans le Rio Grande do Sul.

La faible occurrence de T. infestans détectée dans la présente étude est une preuve supplémentaire de la réduction efficace de cette espèce au Brésil par les programmes de lutte. Cependant, la découverte de populations résiduelles dans le Rio Grande do Sul et Bahia souligne l’importance d’une surveillance entomologique constante pour éviter la réinvention par T. infestans.

5. Conclusions

Nos résultats montrent que toutes les conditions environnementales au Brésil sont favorables à une ou plusieurs des espèces de triatomines analysées, de sorte que le risque de transmission du Chagas n’est presque nulle part négligeable. L’ENM présente un moyen de visualiser l’écologie et la biogéographie des espèces dans de vastes régions. Il ne remplace en aucun cas les évaluations détaillées des populations et les observations d’histoire naturelle. Au contraire, utilisée en tandem avec des études à l’échelle locale, la modélisation de niche fournit des informations complémentaires. Cette étude fait suite à de longues années d’exploration de ces méthodologies et représente une étape vers un résumé complet de la répartition des triatomines du Brésil.

Remerciements

Ce travail a été soutenu par le Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq) et le Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior (CAPES). Les auteurs sont également reconnaissants à tous les agents sanitaires des États brésiliens qui ont fourni des informations sur la distribution des triatomines.

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