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Cour Européenne des Droits de l’Homme – affaire du Parti Populaire Démocrate-Chrétien c. Moldavie (No. 2) (2010)

AFFAIRE DU PARTI POPULAIRE DÉMOCRATE-CHRÉTIEN c. MOLDAVIE (n° 2)
(Requête n° 25196/04)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2010
FINAL
02/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les circonstances prévues à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut faire l’objet d’une révision éditoriale.

Dans l’affaire Parti populaire Démocrate-chrétien c. Moldavie (no. 2),
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (Quatrième Section), siégeant en Chambre composée de:
Nicolas Bratza, Président,
Lech Garlicki,
Ljiljana Mijović,
David Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
Mihai Poalelungi, juges,
et Fatoş Aracı, Greffier adjoint de Section,
Ayant délibéré à huis clos le 12 janvier 2010,
Rend l’arrêt suivant, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. L’affaire a pris naissance dans une demande (no. 25196/04) contre la République de Moldova déposée auprès de la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (« la Convention ») par le Parti Populaire Démocrate-Chrétien (« la partie requérante ») le 26 mai 2004.
2. La requérante était représentée par M. V Nagacevschi, avocat exerçant à Chişinău. Le Gouvernement moldave (« le Gouvernement ») était représenté par son Agent, M. V. Grosu.
3. La partie requérante alléguait notamment que son droit à la liberté de réunion avait été violé.
4. Le 4 avril 2008, le Président de la Quatrième Section a décidé de notifier la demande au gouvernement. Il a également été décidé d’examiner le fond de la demande en même temps que sa recevabilité (article 29 § 3).
LES FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’AFFAIRE
5. Le Parti populaire démocrate-chrétien (« CDPP ») est un parti politique de la République de Moldova qui était représenté au Parlement et qui était dans l’opposition au moment des événements.
6. Le 3 décembre 2003, la partie requérante a demandé au Conseil municipal de Chişinău l’autorisation d’organiser une manifestation de protestation sur la place de la Grande Assemblée nationale, devant le bâtiment du Gouvernement, le 25 janvier 2004. Selon la demande, les organisateurs avaient l’intention d’exprimer leurs points de vue sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldavie, le respect des droits de l’homme et le conflit moldo-russe en Transnistrie.
7. Le 20 janvier 2004, le Conseil municipal de Chişinău a rejeté la demande de la partie requérante au motif qu ‘ »elle avait des preuves convaincantes du fait que pendant la réunion, il y aura des appels à une guerre d’agression, de haine ethnique et de violence publique ».
8. La partie requérante a contesté le refus devant le tribunal et a fait valoir, entre autres, que les raisons invoquées par le Conseil municipal étaient entièrement sans fondement.
9. Le 23 janvier 2004, la Cour d’appel de Chişinău a rejeté le recours de la partie requérante. Le tribunal a estimé que le refus du Conseil municipal d’autoriser la manifestation du CDPP était justifié par le fait que les tracts diffusés par celui-ci contenaient des slogans tels que « À bas le régime totalitaire de Voronine » et « À bas le régime d’occupation de Poutine ». Selon la Cour d’appel, ces slogans constituaient un appel au renversement violent du régime constitutionnel et à la haine envers le peuple russe. Dans ce contexte, la cour a rappelé que lors d’une précédente manifestation organisée par la partie requérante pour protester contre la présence de l’armée russe en Transnistrie, les manifestants avaient brûlé une photo du Président de la Fédération de Russie et un drapeau russe.
10. La partie requérante a fait appel de la décision susmentionnée en faisant valoir, entre autres, que les slogans contestés n’auraient pas pu raisonnablement être interprétés comme un appel au renversement violent du gouvernement ou comme un appel à la haine ethnique et que le refus d’autoriser la réunion constituait une violation de ses droits garantis par les articles 10 et 11 de la Convention.
11. Le 21 avril 2004, la Cour suprême de justice a rejeté le pourvoi de la partie requérante et confirmé l’arrêt de la Cour d’appel.
II. DROIT INTERNE PERTINENT
12. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les assemblées du 21 juin 1995 se lisent comme suit:
« Article 6
(1) Les assemblées se déroulent pacifiquement, sans aucune sorte d’arme, et garantissent la protection des participants et de l’environnement, sans entraver l’utilisation normale des voies publiques, la circulation routière et le fonctionnement des entreprises économiques et sans dégénérer en actes de violence susceptibles de mettre en danger l’ordre public, l’intégrité physique et la vie des personnes ou de leurs biens.
Section 7
Les assemblées sont suspendues dans les circonstances suivantes:
a) déni et diffamation de l’État et du peuple;
b) incitation à la guerre ou à l’agression et incitation à la haine pour des motifs ethniques, raciaux ou religieux;
c) incitation à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique;
d) actes portant atteinte à l’ordre constitutionnel.
Section 8
(1) Les assemblées peuvent avoir lieu sur les places, les rues, les parcs et autres lieux publics des villes, villages et villages, ainsi que dans les bâtiments publics.
(2) Il est interdit de se réunir dans les bâtiments des pouvoirs publics, des collectivités locales, des parquets, des tribunaux ou des sociétés à sécurité armée.
(3) Il est interdit de tenir des réunions:
(a) à moins de cinquante mètres du bâtiment du parlement, de la résidence du président de la République de Moldova, du siège du gouvernement, de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême de Justice;
b) à moins de vingt-cinq mètres des bâtiments de l’autorité administrative centrale, des autorités publiques locales, des tribunaux, des parquets, des commissariats de police, des prisons et des établissements de réinsertion sociale, des installations militaires, des gares ferroviaires, des aéroports, des hôpitaux, des entreprises utilisant des équipements et des machines dangereux et des institutions diplomatiques.
(4) Le libre accès aux locaux des institutions énumérées au paragraphe (3) est garanti.
(5) Les autorités publiques locales peuvent, sur accord des organisateurs, établir des lieux ou des bâtiments pour les assemblées permanentes.
Article 11
(1) Au plus tard quinze jours avant la date de l’assemblée, l’organisateur adresse au Conseil municipal une notification dont un exemplaire figure en annexe qui fait partie intégrante de la présente Loi.
(2) La notification préalable doit indiquer:
(a) le nom de l’organisateur de l’assemblée et le but de l’assemblée;
(b) la date, l’heure de début et l’heure de fin de l’assemblée;
(c) le lieu de l’assemblée et les voies d’accès et de retour;
(d) la manière dont l’assemblée doit se dérouler;
(e) le nombre approximatif de participants;
(f) les personnes qui doivent assurer et répondre de la bonne conduite de l’assemblée;
(g) les services que l’organisateur de l’assemblée demande au Conseil municipal de fournir.
(3) Si la situation l’exige, le Conseil municipal peut modifier certains aspects de la notification préalable avec l’accord de l’organisateur de l’assemblée. »
Article 12
(1) La notification préalable est examinée par le gouvernement local de la ville ou du village au plus tard 5 jours avant la date de l’assemblée.
(2) Lorsque la notification préalable est examinée lors d’une réunion ordinaire ou extraordinaire du Conseil municipal, la discussion porte sur la forme, le calendrier, le lieu et les autres conditions de conduite de l’assemblée et la décision prise tient compte de la situation spécifique.
(…)
(6) Les autorités locales ne peuvent rejeter une demande d’assemblée que si, après avoir consulté la police, elles ont obtenu des preuves convaincantes que les dispositions des articles 6 et 7 seront violées avec de graves conséquences pour la société.
Article 14
(1) La décision de rejet de la demande d’assemblée est motivée et présentée par écrit. Il contient les motifs du refus de délivrer l’autorisation…
Article 15
(1) L’organisateur de l’assemblée peut contester devant les tribunaux administratifs le refus du gouvernement local. »
LA LOI
13. La partie requérante se plaignait que le refus d’autoriser sa protestation violait son droit à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 11 de la Convention, qui dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association avec les autres, y compris le droit de former et d’adhérer à des syndicats pour la protection de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne sera soumis à aucune restriction autre que celle qui est prescrite par la loi et qui est nécessaire dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, pour la prévention du désordre ou de la criminalité, pour la protection de la santé ou de la morale ou pour la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas l’imposition de restrictions légales à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
I. RECEVABILITÉ DE L’AFFAIRE
14. La Cour considère que la présente requête soulève des questions de fait et de droit suffisamment graves pour que leur détermination dépende d’un examen au fond, et qu’aucun motif de la déclarer irrecevable n’a été établi. La Cour déclare donc la requête recevable. Conformément à sa décision d’appliquer l’article 29 § 3 de la Convention (voir paragraphe 4 ci-dessus), la Cour examinera immédiatement son bien-fondé.
II. VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
A. Les arguments des parties
15. La partie requérante a fait valoir que l’atteinte à son droit à la liberté de réunion ne poursuivait pas un but légitime et n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
16. Le gouvernement a reconnu qu’il y avait eu ingérence dans les droits du requérant garantis par l’article 11 de la Convention. Cependant, cette ingérence était prescrite par la loi, notamment par la Loi sur les assemblées, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.
17. En ce qui concerne le but légitime, le gouvernement a fait valoir que l’ingérence était justifiée dans la mesure où elle poursuivait des intérêts de sécurité nationale et d’ordre public. De l’avis du gouvernement, la tenue de la manifestation devant le Gouvernement aurait pu entraîner des tensions entre l’électorat majoritaire du Parti communiste et l’électorat minoritaire du parti candidat et dégénérer en actes de violence. En outre, les appels de la partie requérante concernant « l’occupation russe de la Moldavie » constituaient une incitation à une guerre d’agression et de haine contre les Russes. Quant à la proportionnalité de l’ingérence dans le but légitime poursuivi, le gouvernement a fait valoir que l’intérêt de l’électorat majoritaire qui avait voté pour le Parti communiste l’emportait sur celui de l’électorat minoritaire qui avait voté pour le parti candidat. En outre, en limitant la liberté de réunion du demandeur, les autorités ont tenu compte de l’intérêt de la Moldavie à maintenir de bonnes relations bilatérales avec la Fédération de Russie.
B. Appréciation de la Cour
18. Il est convenu entre les parties, et la Cour convient, que la décision de rejeter la demande de la partie requérante d’organiser une manifestation le 25 janvier 2004 constituait une « ingérence de l’autorité publique » dans le droit de la partie requérante à la liberté de réunion en vertu du premier alinéa de l’article 11. Une telle ingérence entraînera une violation de l’article 11 à moins qu’elle ne soit  » prescrite par la loi », qu’elle ait un ou des buts légitimes en vertu du paragraphe 2 de l’article et qu’elle soit  » nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.
19. Les parties ne contestent pas que l’ingérence était licite au sens de l’article 11 de la Convention. En même temps, ils n’étaient pas d’accord sur la question de savoir si l’ingérence servait un but légitime. La Cour, pour les motifs exposés ci-après, n’estime pas nécessaire de se prononcer sur ce point et se concentrera sur la proportionnalité de l’ingérence.
20. La Cour rappelle qu’elle a déclaré à de nombreuses reprises dans ses arrêts que non seulement la démocratie est un élément fondamental de l’ordre public européen, mais que la Convention a été conçue pour promouvoir et maintenir les idéaux et les valeurs d’une société démocratique. La Démocratie, a souligné la Cour, est le seul modèle politique envisagé dans la Convention et le seul compatible avec celle-ci. En vertu du libellé de l’article 11, deuxième alinéa, et également des articles 8, 9 et 10 de la Convention, la seule nécessité susceptible de justifier une ingérence dans l’un quelconque des droits consacrés par ces articles est celle qui peut prétendre provenir d’une « société démocratique » (voir Refah Partisi (le Parti du bien-être) et Autres c. Turquie, nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, §§ 86-89, CEDH Moldova, no 28793/02, CEDH 2006-II).
21. Se référant aux caractéristiques d’une « société démocratique », la Cour a accordé une importance particulière au pluralisme, à la tolérance et à l’ouverture d’esprit. Dans ce contexte, elle a estimé que, même si les intérêts individuels doivent parfois être subordonnés à ceux d’un groupe, la démocratie ne signifie pas simplement que les opinions de la majorité doivent toujours prévaloir: il faut parvenir à un équilibre qui assure le traitement juste et approprié des minorités et évite tout abus de position dominante (voir Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, § 63, Série A no 44, et Chassagnou et autres c. France, nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 112, CEDH 1999-III).
22. Lorsqu’elle exerce son contrôle en vertu de l’article 11, la Cour n’a pas pour tâche de substituer son propre point de vue à celui des autorités nationales compétentes, mais plutôt de réexaminer en vertu de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Cela ne signifie pas qu’il doit se limiter à vérifier si l’État défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, prudente et de bonne foi; elle doit examiner l’ingérence reprochée à la lumière de l’affaire dans son ensemble et déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les raisons invoquées par les autorités nationales pour la justifier sont « pertinentes et suffisantes ». Ce faisant, la Cour doit s’assurer que les autorités nationales ont appliqué des normes conformes aux principes énoncés à l’article 11 et, en outre, qu’elles ont fondé leurs décisions sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir Parti communiste uni de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998 – I).
23. Le droit à la liberté de réunion pacifique est garanti à toute personne qui a l’intention d’organiser une manifestation pacifique. La possibilité de contre-manifestations violentes ou la possibilité que des extrémistes avec des intentions violentes se joignent à la manifestation ne peut en tant que telle retirer ce droit (voir Plattform « ÄrZte für das Leben » c. Autriche, arrêt du 21 juin 1988, § 32, Série A n° 139). Il incombe aux autorités de prouver les intentions violentes des organisateurs d’une manifestation.
24. Compte tenu du rôle essentiel joué par les partis politiques dans le bon fonctionnement de la démocratie, les exceptions prévues à l’article 11 sont, en ce qui concerne les partis politiques, à interpréter strictement; seules des raisons convaincantes et impérieuses peuvent justifier des restrictions aux libertés de ces partis garanties par l’article 11. Pour déterminer s’il existe une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les États contractants ne disposent que d’une marge d’appréciation limitée, qui va de pair avec une surveillance européenne rigoureuse (voir Parti socialiste et Autres v. Turquie, 25 mai 1998, § 50, Rapports 1998-III). Si la liberté d’expression est importante pour tout le monde, elle l’est tout particulièrement pour un représentant élu du peuple. Il représente son électorat, attire l’attention sur leurs préoccupations et défend leurs intérêts. En conséquence, les atteintes à la liberté d’expression d’un député de l’opposition appellent un examen minutieux de la part de la Cour (voir Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42, Série A no 236).
25. La Cour a souvent répété que la Convention vise à garantir des droits qui ne sont pas théoriques ou illusoires, mais pratiques et efficaces (voir Article c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, § 33, Série A n° 37). Il résulte de cette constatation qu’un respect véritable et effectif de la liberté d’association et de réunion ne peut être réduit à un simple devoir de l’État de ne pas intervenir; une conception purement négative ne serait pas compatible avec l’objet de l’article 11 ni avec celui de la Convention en général. Il peut donc y avoir des obligations positives pour assurer la jouissance effective du droit à la liberté d’association et de réunion (voir Wilson, National Union of Journalists e.a. c. Royaume-Uni, nos 30668/96, 30671/96 et 30678/96, § 41, CEDH 2002-V), même dans le domaine des relations entre individus (voir Plattform « Erezte für das Leben », cité plus haut, § 32). En conséquence, il incombe aux pouvoirs publics de garantir le bon fonctionnement d’un parti politique, même lorsqu’il choque ou offense des personnes opposées aux idées ou aux revendications qu’il cherche à promouvoir. Leurs membres doivent pouvoir tenir des réunions sans avoir à craindre d’être victimes de violences physiques de la part de leurs opposants. Une telle crainte serait de nature à dissuader d’autres associations ou partis politiques d’exprimer ouvertement leurs opinions sur des questions très controversées touchant la communauté.
26. En ce qui concerne les circonstances de la présente affaire, la Cour note qu’au moment des faits, le CDPP était un parti d’opposition parlementaire minoritaire avec environ dix pour cent des sièges au Parlement, tandis que le Parti communiste majoritaire avait environ soixante-dix pour cent des sièges. L’ingérence concernait une manifestation au cours de laquelle la partie requérante avait l’intention de protester contre les abus antidémocratiques présumés commis par le gouvernement et contre la présence militaire russe dans la région de Moldova, en Transdniestrie, en voie de rupture. Compte tenu de l’intérêt public pour la liberté d’expression sur de tels sujets et du fait que la partie requérante était un parti politique parlementaire d’opposition, la Cour considère que la marge d’appréciation de l’État était en conséquence étroite et que seules des raisons très impérieuses auraient justifié l’ingérence dans le droit du CDPP à la liberté d’expression et de réunion.
27. La Cour note que le Conseil municipal de Chişinău et les tribunaux nationaux ont estimé que les slogans « À bas le régime totalitaire de Voronine » et « À bas le régime d’occupation de Poutine » constituaient des appels à un renversement violent du régime constitutionnel et à la haine envers le peuple russe et une incitation à une guerre d’agression contre la Russie. La Cour note que de tels slogans doivent être compris comme une expression de mécontentement et de protestation et n’est pas convaincue qu’ils puissent raisonnablement être considérés comme un appel à la violence, même s’ils s’accompagnent de l’incendie de drapeaux et de photos de dirigeants russes. La Cour rappelle que même des formes de protestation telles que l’obstruction physique active à la chasse étaient considérées comme l’expression d’une opinion (voir Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 92, Rapports 1998-VII; Hashman et Harrup c. Royaume-Uni, n° 25594/94, § 28, CEDH 1999 -VIII). En l’espèce également, la Cour constate que les slogans de la partie requérante, même s’ils étaient accompagnés de drapeaux et d’images brûlés, constituaient une forme d’expression d’une opinion sur une question d’intérêt public majeur, à savoir la présence de troupes russes sur le territoire de la Moldavie. La Cour rappelle dans ce contexte que la liberté d’expression ne se réfère pas seulement aux « informations » ou aux « idées » qui sont accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou dérangent (voir Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no. 298). En conséquence, la Cour n’est pas convaincue que les raisons invoquées ci-dessus par les autorités nationales pour refuser à la partie requérante l’autorisation de manifester puissent être considérées comme pertinentes et suffisantes au sens de l’article 11 de la Convention.
28. Dans leurs décisions, les autorités nationales se sont également appuyées sur le risque d’affrontements entre les manifestants et les partisans du parti au pouvoir. La Cour considère que même s’il existait un risque théorique d’affrontements violents entre les manifestants et les partisans du Parti communiste, il incombait à la police de se tenir entre les deux groupes et de garantir l’ordre public (voir paragraphe 25 ci-dessus). Par conséquent, ce motif de refus d’autorisation ne pouvait pas non plus être considéré comme pertinent et suffisant au sens de l’article 11 de la Convention.
29. En parvenant aux conclusions ci-dessus, la Cour rappelle que la partie requérante avait un historique de nombreuses manifestations de protestation qui se sont déroulées en 2002 et qui ont été pacifiques et au cours desquelles aucun affrontement violent n’avait eu lieu (voir, Parti populaire démocrate-chrétien c. Moldova, cité ci-dessus; Roşca e.a. c. Moldova, nos 25230/02, 25203/02, 27642/02, 25234/02 et 25235/02, 27 mars 2008). Dans de telles circonstances, la Cour considère que rien ne laissait penser, dans les actions de la partie requérante, qu’elle avait l’intention de troubler l’ordre public ou de rechercher une confrontation avec les autorités ou avec les partisans du parti au pouvoir (voir Hyde Park et autres c. Moldova, no 33482/06, § 30, 31 mars 2009).
30. En conséquence, la Cour conclut que l’ingérence ne correspondait pas à un besoin social urgent et n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Il y a eu violation de l’article 11 de la Convention.
III. APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. L’article 41 de la Convention dispose :
 » Si la Cour constate qu’il y a eu violation de la Convention ou des Protocoles s’y rapportant, et si le droit interne de la Haute Partie contractante concernée ne permet qu’une réparation partielle, la Cour accorde, le cas échéant, une satisfaction équitable à la partie lésée. »
A. Dommages
32. La requérante réclamait 3 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.
33. Le gouvernement n’était pas d’accord et a soutenu que le montant était excessif et non fondé.
34. Le Tribunal accorde à la partie requérante la totalité du montant réclamé.
D. Coûts et dépenses
35. Les requérantes ont également réclamé 1 098,05 euros au titre des frais et dépenses encourus devant les juridictions internes et la Cour.
36. Le gouvernement a contesté le montant et a fait valoir qu’il était excessif.
37. Le Tribunal accorde 1 000 euros au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
38. La Cour estime opportun que les intérêts de retard soient fondés sur le taux de prêt marginal de la Banque centrale européenne, auquel il convient d’ajouter trois points de pourcentage.
POUR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ
1. Déclare la demande recevable;
2. Estime qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention;
3. 3867> a) que l’État défendeur doit payer à la demanderesse, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle le jugement devient définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les montants suivants, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date de règlement :
i) 3 000 euros (trois mille euros) au titre du préjudice moral plus toute taxe pouvant être exigible sur ce montant;
(ii) 1 000 EUR (mille euros) au titre des frais et dépenses plus toute taxe pouvant être à la charge du demandeur sur ce montant;
(b) que, à partir de l’expiration des trois mois susmentionnés jusqu’au règlement, des intérêts simples sont dus sur les montants susmentionnés à un taux égal au taux de prêt marginal de la Banque centrale européenne pendant la période de défaut plus trois points de pourcentage;
4. Rejette le reste de la demande de la requérante pour satisfaction équitable.
Fait en anglais, et notifié par écrit le 2 février 2010, conformément à l’article 77 §§ 2 et 3 du Règlement de la Cour.
Fatoş Aracı Nicolas Bratza
Vice-Président du Registraire

JUGEMENT PARTI POPULAIRE DÉMOCRATE-CHRÉTIEN c. MOLDAVIE (No 2)

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