Cabet, Étienne

CABET, ÉTIENNE (1788-1856), chef politique et écrivain français de gauche.

Fils d’un tonnelier dijonnais et l’un des rares dirigeants politiques de gauche de l’époque ayant des racines dans les classes populaires, la longue carrière de Cabet s’étend sur tout  » l’âge de la révolution  » ainsi que sur deux continents. Bien que sa place dans l’histoire de la Gauche ait été établie de manière assez péjorative par le courant marxiste en tant qu’auteur d’un des textes archétypaux du socialisme « utopique », Voyage en Icarie (1840), et fondateur d’une « petite Icarie » en Amérique, Cabet était en fait le créateur, dans les années 1840, du plus grand « parti prolétarien » d’Europe, un homme dont le nom, comme le remarquait Karl Marx (1818-1883), était synonyme de communisme.

Élevé comme jacobin, Cabet devient avocat après une brillante carrière scolaire, plaidant au début de la Restauration au nom des opprimés politiques. Arrivé à Paris en 1820, il est embrassé dans les milieux libéraux, rejoint la conspiration de la Charbonnerie anti-Bourbon et devient un protégé du chef républicain modéré Jacques-Charles Dupont de l’Eure (1767-1855). Il se consacre ensuite à la politique républicaine, principalement en tant que journaliste et pamphlétaire. Alors que la Révolution de 1830 devient rapidement réactionnaire, Cabet démissionne d’un poste judiciaire en Corse et se fait connaître pour son livre sur la  » trahison  » de la révolution récente, comme organisateur infatigable d’associations d’opposition, puis comme rédacteur en chef du Populaire, qui obtient le plus grand tirage de tous les hebdomadaires en France avant sa suppression en 1834. En tant que rédacteur en chef, Cabet a été condamné pour lèse-majesté (crime contre un pouvoir souverain) et a choisi l’exil à Londres plutôt que la prison en France.

À ce moment-là, le républicanisme de Cabet était de type modéré, avec peu de relents de socialisme. Londres (où sa femme et sa fille en union libre l’ont rejoint) s’est avérée transformatrice. Se mélangeant à d’autres exilés continentaux tout en apprenant l’anglais et en vivant en enseignant le français, Cabet lisait largement dans les deux langues. En français, c’était l’histoire de la Révolution de 1789 et les textes de ses dirigeants. Il tombe sous le charme de l’idée de Philippe Buonarotti (1761-1837) selon laquelle l’égalité sociale et économique est la  » dernière conséquence  » de la vision de la République de Maxmilien Robespierre (1758-1794) et entreprend d’écrire sa propre version de la Révolution pour la confirmer. En même temps, il lit l’Utopie de Robert Owen (1771-1858) et de Thomas More (1478-1535). D’où le Voyage en Icarie. Le roman de Cabet dépeint une nation née en révolution dirigée par un dictateur bienveillant (Icar) qui parle au nom du peuple lors d’une transition de cinquante ans vers une société parfaitement égalitaire basée sur une version idéalisée de la famille élargie où tout le monde semble apparenté – un gigantesque cousinage. (Il convient de rappeler que c’était une époque de mariages fréquents entre cousins et de liens fraternels profonds, tous deux romancés dans la fiction.) Tout le monde travaillait, mais leur travail était « agréable et facile » et leurs journées de travail courtes, rendues ainsi par le triomphe de la technologie moderne. Les loisirs seraient le cœur créatif de l’existence. Les décisions administratives sont prises par consensus dans un contexte où la politique a effectivement disparu.

Le format et le message se sont révélés extrêmement attrayants pour les travailleurs ordinaires dont les moyens de subsistance étaient maintenant de plus en plus menacés par le capitalisme incontrôlé. De retour à Paris en 1839, le  » Père » Cabet, comme l’appellent bientôt ses disciples, passe à l’action, publiant ses deux livres, expliquant ses idées dans des brochures destinées à des publics spécifiques, y compris les femmes, recréant Le Populaire et envoyant ses vendeurs dans tous les coins et recoins de la France. Des groupes locaux, se formant autour des abonnés, se réunissaient dans des cafés et des maisons pour discuter de La Communauté, le terme de Cabet pour sa société communiste. Cabet combat non seulement le système  » sans cœur  » de l' » égoïsme  » économique et politique, mais aussi les « écoles  » socialistes rivales, n’épargnant que des camarades jacobins comme Louis Blanc (1811-1882). Mais en général, sa plume vitupérative et sa demande de conformité idéologique semblaient porter leurs fruits : en 1846, sa suite à travers la France (et ailleurs) comptait peut-être cent mille hommes et femmes. Cabet était particulièrement sollicité par ces derniers (bien que silencieux sur leur droit de vote), soulignant leur double oppression en tant que captifs domestiques selon le Code napoléonien et en tant que les plus exploités des exploités dans le monde du travail, rémunérés et non rémunérés. Comme les choses seraient différentes à Icaria! Enfin, il sollicite également le soutien des classes supérieures, qui doivent comprendre que leur statut actuel devient de plus en plus précaire, fondé sur l’extrême dégradation du  » peuple « , dont la patience va bientôt s’épuiser.

En 1847, croyant que la révolution violente était imminente, mais incapable de la prôner, Cabet combinait une nouvelle ligne — que « le communisme était le christianisme dans sa pureté primitive » — avec l’idée que son peuple devait maintenant établir une Nouvelle Jérusalem de l’autre côté des eaux. Une telle évasion a provoqué un gros roulement au sein de ses partisans, à mesure que des millénaristes chrétiens s’installaient et que des révolutionnaires républicains déménageaient. Alors que Cabet se préparait à établir la « terre promise » au Texas, la véritable Révolution de 1848 se produisit, le laissant dans une position étrange. Mais il s’est rallié, a ignoré « l’avant-garde » partie pour l’Amérique deux semaines auparavant, et s’est soudainement retrouvé le principal bouc émissaire de la Révolution, alors que la Droite accusait toute la Gauche d’être communiste, tactique qui rendait le « spectre » de Marx d’autant plus réel. En fin de compte, Cabet, bien qu’il ait continué à travailler avec Louis Blanc et Alexandre-Auguste Ledru-Rollin (1807-1874) pour construire une gauche néo-Jacobine stable dans la République, a revitalisé « l’émigration » vers la « colonie icarienne », qui, après l’effondrement désastreux de l’entreprise texane, s’est établie à Nauvoo, Illinois, récemment abandonnée par Brigham Young (1801-1877) et ses Saints des Derniers Jours persécutés.

Cabet rejoint définitivement ses  » pionniers  » en 1849, n’étant plus les bienvenus en France, et instaure la dictature du peuple d’Icar. Ses  » citoyens  » idéalistes (dont quelques-uns venaient du pauvre Cabet affolé avait déploré dans Le Populaire, compte tenu des 600 francs d’entrée — salaire annuel — exigés des recrues) se soumirent allègrement mais perdirent rapidement leur zèle, comme l’ont magnifiquement documenté Jacques Rancière et Robert Sutton. Les principales d’entre elles étaient les femmes qui, voilà, non seulement se voyaient refuser le vote, mais préparaient également les repas et faisaient la lessive. Diana Garno soutient que l’échec flagrant de l’expérience Nauvoo, qui s’est terminée par l’expulsion de Cabet, était en grande partie dû au désenchantement croissant des femmes, dont l’idéalisme n’avait pas été moins vibrant que celui des hommes. Cabet est mort d’apoplexie à Saint Louis. Les communautés icariennes ont lutté dans diverses zones rurales des États-Unis, mais le principal héritage de Cabet est resté en France, où il a puissamment contribué à la vision des travailleurs d’une société où ils comptaient.

Voir Aussiblanc, Louis; Jacobins; Ledru-Rollin, Alexandre-Auguste; Owen, Robert; Révolutions de 1848; Socialisme utopique; Classe ouvrière.

bibliographie

Garno, Diana. Citoyennes et Icaria. Il n’y a pas de problème., 2005.

Johnson, Christopher H. Le communisme utopique en France: Cabet et les Icariens, 1839-1851. Ithaca, New York, 1974.

Rancière, Jacques. Les Nuits du Travail : Le Rêve ouvrier dans la France du XIXe siècle. Traduit du français par John Drury; avec une introduction de Donald Reid. Philadelphie, 1989.

Sutton, Robert. Les Icariens : Le Rêve Utopique en Europe et en Amérique. Urbana, Malade., 1994.

Christopher H. Johnson

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